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Roman francophone - Page 14

  • Fils unique . - Stéphane Audéguy (Gallimard, 2006)

    medium_9782070777242.gifCoup de coeur de cette rentrée, ce roman sort vraiment du lot. Ce n'est pas forcément le meilleur, mais c'est celui dont le style est le plus original ! Imaginez vous lire un roman du 18è siècle, avec des expressions d'époque, écrit à la première personne, le narrateur étant un esprit libre et libertin qui découvre, dans l'ordre, la vie, Paris puis la Révolution !

    Et notre homme n'est pas n'importe qui puisque c'est le frère de Jean-Jacques Rousseau. Celui-ci a réellement eu un frère, il le cite trois ou quatre fois dans ses Confessions, mais on n'en sait pas plus. Ici on bénéficie de l'imagination et de la culture de l'auteur pour découvrir le siècle des Lumières à travers ses yeux. Initié dès son plus jeune âge aux plaisirs de la chair (comme on dit...) il va rencontrer mille personnes dans mille lieux différents, faire mille métiers (toujours un peu reliés au métier d'horloger qu'il a appris), et vivre de l'intérieur le période pré-révolutionnaire, puis révolutionnaire avant de mourir très âgé, bien après son célèbre frère.

    Grâce à ses rencontres amoureuses avec toutes ces femmes et aussi tous ces hommes, il s'imprègne de l'air du temps, exprime toutes les passions du siècle et vit tous les événements importants. Construit comme un roman picaresque, il nous entraîne tout de suite dans le tourbillon des émotions du narrateur et termine de façon beaucoup plus philosophique par sa rencontre avec Sade, à la Bastille, où la vanité des choses de ce monde lui apparaît comme une évidence !

    A lire si on a envie de se laisser emporter par une belle histoire, par l'Histoire elle-même et par un style impeccable et réjouissant !


    L'avis de mon mari qui est en train de le lire : comme moi il se régale avec ce style ciselé façon 18è. En bon connaisseur de ce siècle (pas comme moi :-(  ), il apprécie d'être plongé dans la vie quotidienne et de traverser le siècle main dans la main avec le narrateur. Il retrouve l'esprit des Lumières et aussi des similitudes avec Les Confessions. Et il trouve très agréable cette atmosphère un peu leste, d'ailleurs il me fait la lecture des passages les plus libertins littéraires  ;-)


    L'avis de Anne-Sophie

  • Les Sirènes de Bagdad. - Yasmina Khadra (Julliard, 2006)

    medium_9782260017127.gifComme L'attentat (et, je crois, comme Les hirondelles de Kaboul que je n'ai pas encore lu), Les sirènes de Bagdad est un roman qui vous donne un coup de poing à l'estomac. L'auteur réussit à chaque fois à faire une démonstration sans jamais tomber dans la caricature. Son écriture y est pour beaucoup. Si l'on excepte quelques images toutes faites (les vieillards y sont toujours cacochymes ou valétudinaires, la populace y croupit toujours,...), la plus grande partie du livre explore intelligemment l'âme humaine, décrit avec précision la vie quotidienne et évoque avec talent l'atrocité de la guerre. Et surtout on voit bien les contradictions de l'âme humaine.

    Le héros est un jeune homme pacifique qui habite dans un village irakien retiré en respectant les traditions religieuses et familiales. La guerre lui parait bien lointaine. Pourtant deux faits vont transformer sa vie. Deux bavures d'abord, dues aux Américains, qui lui font voir la mort de près et surtout le déshonneur. Et la télé installée dans le café du village qui permet aux jeunes de se retrouver et de chauffer les esprits à la vue des atrocités commises par les occupants. Une seule solution dans ce cas pour agir : entrer dans la lutte armée. C'est à Bagdad qu'il partira, persuadé que seule la vengeance peut lui rendre la paix de son âme. Mais dans la capitale, c'est encore pire que ce qu'il avait imaginé...

    Comme dans L'attentat, on entre dans la peau des terroristes et on ne peut que comprendre (je ne dis pas approuver) leurs motivations. Les humiliations que les Américains ont fait subir aux Irakiens ont forcément  fait naître un profond désir de vengeance, donc le fanatisme et la flambée de violence que l'on connaît, et l'on se dit que c'est, hélas, loin d'être terminé !

  • Passage du gué. - Jean-Philippe Blondel (Laffont, 2006)

    medium_9782221107201.gifA mon tour d'avoir lu le dernier Jean-Philippe Blondel (eh oui, le fan club de JPB a encore frappé). J'avais eu en avant-première la lecture du premier chapitre par l'auteur himself, et je me demandais bien où allait nous mener cette histoire de familles en train de passer le samedi dans des magasins d'usine !
    Un flash, Fred aperçoit une famille comme la sienne, avec deux enfants, c'est à la fois agréable et douloureux, en tout cas c'est très fort. Lui reviennent en vagues les souvenirs de leur rencontre. Lui, surveillant. Elle, Myriam, prof, enceinte de Thomas. Une amitié un peu amoureuse se noue entre elle et Fred, mais ce ne sera qu'ensuite, après "l'événement", que les relations s'élargiront, se feront étranges, nécessaires, profondes et rares. Pas une de ces histoires d'amour à trois comme ont pu l'imaginer les voisins et la famille. Une histoire d'amour tout simplement. Et c'est là le talent de JPB d'avoir su raconter cette histoire incroyable tout en délicatesse et en finesse. Le trouble des sentiments, la douleur, le plaisir, tout y est décrit avec subtilité et élégance, les émotions des deux hommes comme celui de la femme (on a déjà dit à JPB qu'il avait sûrement été femme dans une autre vie pour se mettre ainsi dans la peau d'une femme).
    Je n'en raconte pas plus pour ne pas déflorer l'intrigue, d'ailleurs ce n'est pas tant l'histoire qui nous touche que le rôle de Fred, "passeur de gué" et les pensées intimes des uns et des autres. Merci à l'auteur de nous faire toucher d'aussi près l'âme de ses personnages !

    L'avis de mon mari (il me pique souvent les livres que je lis) : il a aimé l'écriture qui décrit bien le quotidien, il a aimé aussi le procédé narratif, habituel chez Blondel mais toujours efficace. Il s'est attaché aux personnages et s'est souvent identifié à Fred et à Thomas. Il s'est réjoui de retrouver l'univers de Blondel. Toutefois il a trouvé quelques longueurs dans la seconde partie du roman.


    L'avis de Laure

  • Le bruit des trousseaux. - Philippe Claudel (Livre de poche, 2003)

    medium_9782253072973.gifPendant onze ans, Philippe Claudel est allé trois fois par semaine à la prison donner des cours. Onze ans qui l'ont énormément marqué et ont donné ce petit livre fait de réflexions, d'anecdotes, d'émotions et de rencontres. Des surveillants sadiques... et des surveillants sympathiques. Des détenus avides d'apprendre, d'autres en rupture avec l'école. Des histoires dramatiques : celle d'une jeune femme morte d'une crise d'asthme par manque de soin. Des histoires incroyables : celle d'un détenu dont la femme lavait les vêtements dans du Ricard, puis les séchait. Il les réhydratait, les essorait dans un verre et vendait la boisson alcoolisée ainsi obtenue.
    Toujours l'immense détresse de ces hommes et femmes. Parfois la rencontre avec un de ses anciens élèves sortis de détention. Et surtout l'immense différence entre lui qui, après ses cours, sort "de la" prison, et ceux qui sortent "de" prison. Un petit livre à lire absolument alors que le feuilleton télévisé "Prison Break" nous montre des quartiers de haute sécurité américains pas vraiment enviables non plus.

  • L'éclipse . - Serge Rezvani (Actes Sud, 2003)

    medium_9782742743520.gifVoilà un livre que j'avais dans ma pile depuis plusieurs mois et que je ne me décidais pas à lire. J'avais déjà lu plusieurs livres de Rezvani, notamment ceux, autobiographiques, qui racontaient sa vie avec Lula, sa compagne depuis cinquante ans.

    Le 11 août 1999, le jour de l'éclipse, le diagnostic tombe : maladie d'Alzheimer. Ce livre est le journal d'une année avec Lula alors que la maladie l'empêche déjà de lire, d'écrire, de communiquer, rend son comportement incohérent et sa compagnie épuisante. Rezvani a toujours dit qu'il s'en occuperait jusqu'au bout et qu'elle resterait toujours dans leur maison, "La Béate", dans le Midi. C'est ce qu'il réussit à faire mais à quel prix ! Le désespoir est omniprésent dans ce récit où il essaie de reconnaître la femme qui'il a tant aimée dans cette malade hors du monde. Parfois quelques brefs accès de lucidité font prendre conscience à Lula de sa maladie, mais la plupart du temps elle ne reconnait pas son mari, tient des propos insensés et accomplit des actes irrationnels ou dangereux. On sent bien que Rezvani essaie d'exorciser son désespoir en décrivant jour après jour cette cohabitation et en répétant combien il a aimé Lula et combien il l'aime encore.

    Il s'en occupera en effet jusqu'au bout puisqu'il fera construire une maison de gardien à "La Béate" pour héberger une aide médicale qui l'aidera dans les derniers mois. Lula décèdera en décembre 2004.

    Fait assez étonnant, alors qu'il avait formé avec Lula un couple mythique (cinquante ans de vie commune sans se séparer une seule journée), il se remariera dès la fin 2005 avec Marie-José Nat ! Il faut croire qu'il ne pouvait pas vivre seul !!!

  • Le gone du Chaâba ; Beni ou le paradis privé ; Le marteau-pique-coeur . - Azouz Begag (Seuil)

    medium_images.28.jpeg"Le gone du Chaâba", voilà un livre que j'avais prévu de lire depuis longtemps. Je connaissais l'histoire, je connaissais l'auteur (notre actuel "ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances") mais j'ai quand même été bluffée ! Récemment je lisais Annie Ernaux qui disait qu'entre l'enfance de son père et celle de François Mauriac (qui étaient contemporains) , il semblait y avoir trois siècles de distance. Entre l'enfance de Begag et la mienne, à peine plus récente, il y a aussi des siècles. Son jeu préféré, avec ses copains, était d'aller fouiller dans les ordures quand la benne venait les déverser au bout de leur bidonville par exemple, et je parle de la ville de Lyon dans les années soixante, pas de Calcutta ou du Caire ! Bien sûr pas d'eau courante, de la terre sur le sol des baraquements, aucun moyen de faire les devoirs correctement. Malgré cela, il est le seul dans la famille qui ne se débrouille pas trop mal à l'école. Mais le livre s'arrête alors qu'il est en sixième.. Vite il me faut la suite.....

    Dans "Béni  ou le paradis privé" c'est son adolescence qu'il raconte. Cette fois lui et sa famille ont été relogés dans un HLM à Lyon avec le confort moderne. Moins de misérabilisme donc mais le dur apprentissage pour Azouz du racisme latent dans la cité et dans la vie quotidienne. Un passage émouvant, celui où il va pour la première fois en boîte avec des copains, pas plus riches que lui mais à la peau plus claire. Tout le monde entre dans la boîte.. sauf lui à qui on medium_images.29.jpegdemande sa carte de membre !!

    Le tout est écrit sans haine ni esprit de revanche. C'était comme ça, c'est tout. Et il avait la chance de bien "apprendre à l'école" comme disait ses parents; Même si je trouve qu'il est allé se fourvoyer dans ce gouvernement, je reconnais qu'il doit beaucoup à l'école de la république et que c'est sans doute dans cette continuité qu'il essaie de faire quelque chose maintenant au niveau de l'Etat.

    Le troisième livre, "Le marteau-pique-coeur", est très émouvant car il traite de la mort de son père. Les souvenirs qui affluent, l'enfance qui revient, et surtout le côté arabe qui revient très fort car l'enterrement doit bien sûr se faire en Algérie avec toutes les traditions. Un très beau livre à lire et à offrir.

  • Insoupçonnable. - Tanguy Viel (Minuit, 2006)

    medium_9782707319418.2.gifInsoupçonnables sont les relations entre le narrateur et Lise. Amants, ils deviennent frère et soeur le temps du mariage de Lise avec Henri, riche commissaire-priseur. Mais frères, Henri et Edouard le sont aussi. Et les deux fratries vont s'observer attentivement. Quand Lise et le narrateur organisent le faux enlèvement de Lise, avec demande de rançon à Henri, cette affaire tourne mal. Seul Edouard peut-être sait que....
    Décrit comme çà, c'est un thriller. En fait on a presque l'impression de lire un scénario avec ce petit roman édité chez Minuit. Ecrit à la première personne, il tourne et retourne les sentiments du narrateur, ses doutes, ses atermoiements, tout cela dans une langue très originale qui tord la syntaxe, comme sont souvent tordus les fils de nos pensées.
    C'est le premier livre de Tanguy Viel que je lis et j'ai bien envie d'aller jeter un oeil sur le précédent qui vient de sortir en poche, "L'absolue perfection du crime".

  • Océan Pacifique. - Hubert Mingarelli (Seuil, 2006)

    medium_9782020827034TN.3.gifC'est la première fois que Mingarelli publie des nouvelles, encore que ses romans publiés en collection jeunesse pourraient être qualifiés de nouvelles par leur taille et par leur "unité".

    Ici l'auteur nous fait entrer dans trois histoires avec la mer comme toile de fond. Dans la première, trois marins se retrouvent sur un bâteau dans le Pacifique au moment d'un essai nucléaire. Comme tout bon marin (et tout bon héros de Mingarelli...) , ils étaient déjà plutôt silencieux, mais ce nuage atomique les laisse sans voix. Seuls les souvenirs de leur mère au loin leur apportent un peu de réconfort. Le réconfort, voilà également ce qu'apporte le chien Giovanni dans la seconde nouvelle. Pour les marins présents, il symbolise celui auquel on peut parler, et même se confier, sans être ridicule. Et enfin le jeune garçon qui monte sur le toit de sa maison avant de partir, le lendemain, sur un bâteau, cherche à emmagasiner des souvenirs et à être rassuré par un père encore très proche.

    On retrouve les thèmes chers à Mingarelli, les relations à deux, les relations père-fils, la solitude enfin, inéluctable, quelques soient les relations tissées avec les autres, avec un style épuré et minimaliste où chaque mot est indispensable.

  • La fourrure de la truite. - Paul Nizon (Actes Sud, 2006)

    Ce Suisse allemand se fait rare, pourtant chacun de ses ouvrages est un petit bijou ("Canto", "Dans la maison les histoires se défont",...)
    L'histoire est toujours mince. Ici le narrateur a hérité de sa tante un petit appartement à Paris. Il hésite à se l'approprier complètement, il le hume, l'apprivoise. Mais son grand plaisir est d'errer dans les rues de Paris et de retrouver dans les bars des sensations perdues, et même, qui sait, un peu d'amour et de désir.
    L'histoire est ténue. C'est le style précis, léger, presque virevoltant, qui donne au récit cette merveilleuse impression d'être une invitation au voyage, un voyage parisien mais surtout intérieur.

  • Ravel.-Jean Echenoz (Minuit, 2006)

    Je ne suis pas une fanatique des biographies, l'oeuvre m'intéresse en général en elle-même. J'apprécie donc Ravel, sa Pavane, ses Valses, ses Concertos, et sa Shéhérazade par Régine Crespin (ah, le merveilleux "Asie"), sans bien connaître la vie de son auteur. Toutefois, puisque c'est noté "Roman" sur la couverture du dernier Echenoz...

    Bien m'en a pris car ce n'est bien sûr pas une biographie. Je pense qu'il n'y a pas d'erreur sur les grands événements relatés dans le livre, la grande tournée aux Etats-Unis, les péripéties du Concerto pour la main gauche, la maison de Montfort l'Amaury,... Mais pour le reste... c'est du Echenoz ! L'écriture précise et épurée de l'auteur va comme au gant au dandy Ravel qui promène sa mélancolie, sa solitude et ... sa mauvaise humeur dans le Paris d'alors. Le texte est toujours ironique et c'est un régal pour le lecteur qui n'en saute pas une ligne.