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Roman francophone - Page 15

  • Entre les murs. - François Bégaudeau (Verticales, 2006)

    Je n'avais pas vraiment prévu de lire ce livre dont on parle beaucoup (Prix France-Culture -Télérama, nombreux articles dans la presse). mais le hasard... Je savais que c'était une chronique de la vie de collège, vue côté classe et côté salle des profs. Pas de commentaires entre les eux, juste des instantanés de l'année scolaire. Les élèves sont plutôt classés "difficiles" (l'auteur a enseigné dans le 19è), ils n'ont ni la maîtrise du langage classique, ni le respect de la hiérarchie. Comment fait-on dans ces cas-là ? L'auteur oscille entre le respect du programme et, même s'il n'insiste pas sur le point-virgule, il essaie de leur apprendre la subtilité de la conjugaison française. Il essaie aussi de les considérer comme des individus à part entière. Il s'énerve parfois contre eux mais au moins on voit qu'ils existent pour lui. Les profs, dans la "salle des profs", parlent de tout sauf de pédagogie (çà, on l'aurait deviné !)

    Franchement mon avis est mitigé. Le style sobre, le découpage en petites séquences, la description des "sas" au café du coin, tout çà m'a intéressée. La retranscription des dialogues avec les jeunes n'est ni artificielle ni exagérée. C'est un vrai travail d'écriture (ce n'est pas publié à Verticales pour rien). En revanche j'ai l'impression que Bégaudeau n'aime pas vraiment ni les élèves, ni l'enseignement. Sa façon très cynique de se moquer d'eux peut être prise au second degré mais bon, il les fait quand même toutes ces remarques moqueuses.... D'ailleurs ses élèves se plaignent qu'il les "charrie" trop ! Et puis pointer du doigt les profs qui ne pensent qu'à compter le nombre de jours fériés dans l'année et à pester contre les élèves, je trouve que c'est facile ! Ce qui m'a étonnée, en revanche, mais je ne suis pas enseignante, c'est la difficulté qu'ont les élèves à comprendre tout simplement le prof quand il leur parle "normalement". Les profs ne sont pas préparés à ce que le vocabulaire oral courant ne soit pas toujours compris par les élèves, et çà je ne m'en rendais pas compte !

  • 8,20 g de cholestérol.-Joseph Bialot (Fayard, 2006)

    Plus connu pour ses polars et, depuis peu, pour ses bouleversants récits de déportation à Auschwitz " C'est en hiver que les jours rallongent " et " La station Saint-Martin est fermée au public ", Joseph Bialot s'essaie ici à la nouvelle. Sous des formes différentes telles que le conte, le courrier ou la fable, il fustige ici le conformisme, la consommation, la méchanceté et la bêtise.
    Comme tous les recueils de nouvelles, c'est inégal. Personnellement j'ai un faible pour la lettre que Frédo-Doigts-de-Fée, (cambrioleur en prison) envoie à un inspecteur des impôts. En effet on lui reproche de ne pas avoir compté le montant de son hold-up dans sa déclaration de revenus (c'est tiré d'une histoire vraie… çà ne s'invente pas). Il précise que les personnes volées majorent le montant de leurs pertes, donc çà lèse le voleur. Et que doit-il déclarer exactement dans " Traitements et salaire " ? Et quand on lui demande son domicile, doit-il préciser qu'il est en prison pour un certain temps ?…
    Quand même plutôt noires que roses, ces nouvelles peuvent se résumer par ce mot que rappelle Bialot : "Dieu aime les pauvres et donne aux riches" !

  • Le jour du chien. - Caroline Lamarche (Minuit, 1996)

    Les éditions de Minuit nous réservent souvent de belles surprises, ce livre en est une. Ecrit par une auteure belge dont c’était alors le premier roman, il est vraiment l’exemple de ce que l’on peut écrire à partir du "rien". Le rien c’est un chien perdu qui court sur l’autoroute au milieu des voitures. Six automobilistes s’arrêtent et chacun laisse son esprit vagabonder à la suite de cet incident. Mais chez chacun d’eux, ce chien perdu, sans doute abandonné, va rappeler des souvenirs douloureux toujours liés à un abandon. Décès d’un père, départ d’une épouse, fin d’un amour, décès d’un époux. Les émotions enfouies resurgissent soudain à cette simple vision.
    Caroline Lamarche passe d’une vie à l’autre avec simplicité et sobriété, trouvant les mots justes pour que l’on investisse l’histoire dès les premiers mots. Quelle réussite pour un premier roman ! Je serai curieuse de lire ce qu’elle a écrit ensuite.

  • Rue Deschambault. - Gabrielle Roy (Boreal, 1996)

    On entend souvent parler de Gabrielle Roy quand on lit des textes sur la littérature québécoise, elle est considérée comme la mère de la littérature québécoise moderne, mais je n'avais encore jamais réussi à trouver un de ses livres. Voilà qui est fait avec cette "Rue Deschambault ".

    En dix-huit récits autobiographiques, Gabrielle Roy nous plonge dans l'atmosphère du Manitoba, province du centre du Canada, où son père travaillait pour l'accueil des immigrants. Elle fait partie d'une famille nombreuse qui vit modestement et les anecdotes qu'elle évoque avec beaucoup de vivacité et d'humour montrent la dureté de la vie là-bas au début du XXe siècle. Vu par les yeux d'une enfant, tout paraît incroyable, et les histoires de voisinage d'alors deviennent des événements. Quand sa famille prend un noir comme locataire, les voisins d'abord s'offusquent… puis font pareil et essaient même de faire mieux ! Quand un Italien vient construire sa maison sur le terrain mitoyen, toute la famille est en émoi… mais ce n'est qu'une maisonnette en bois dans laquelle il fait venir sa femme malade. Mais quand sa sœur aînée, trop handicapée pour rester chez eux, est enfermée dans une clinique, ou quand son oncle essaie vainement de trouver un lieu adéquat pour sa femme asthmatique, ce ne sont plus des souvenirs souriants, mais c'était la vie là-bas !

    Comme Michel Tremblay raconte son enfance à Montréal, Gabrielle Roy (1909-1983) évoque la vie dans cette province du Manitoba qu'elle quittera ensuite pour venir s'établir à Montréal et poursuivre son œuvre d'écrivain du social, des petites gens et de l'observation minutieuse de la vie quotidienne.

  • Les plumes du coq. - Conrad Detrez (Actes Sud Babel, 1995)

    "Les plumes du coq" fait partie des romans autobiographiques de Conrad Detrez, auteur belge né en 1937, dont la vie a largement inspiré l'oeuvre. Elevé dans de sévères institutions religieuses, il envisage de devenir prêtre et entreprend des études au grand séminaire de Liège. Epris de liberté, il le quitte pour partir en Amérique du Sud où il découvre à la fois les grands combats politiques et l'homosexualité. Il partira ensuite enseigner en Algérie puis soutenir la Révolution des Oeillets au Portugal avant d'être nommé attaché culturel à l'ambassade de France à Managua. Il est mort du sida en 1985. Son oeuvre sera le résultat de ce mélange détonnant, notamment "L'herbe à brûler" qui relate sa vie et qui recevra le Prix Renaudot en 1978.

    Dans "Les plumes du coq" il relate ses années d'internat où des religieux fanatiques inculquent aux élèves l'obsession de la chasteté (qui bien sûr ne fait qu'encourager les "amitiés particulières") et le culte de "l'Epoux", sorte de représentation du Christ inspirée de l'imagerie catholique. Les descriptions y sont baroques, à la limite du réel et de l'imaginaire. La cruauté s'allie au burlesque pour donner une oeuvre très originale dans laquelle il faut se laisser porter comme dans un conte fantastique.

  • Mes départs. - Panaït Istrati (Folio, 2005)

    Panaït Istrati est surtout connu pour avoir écrit "Kyra Kiralina" et la suite, mais toutes ses oeuvres sont intéressantes.
    Dans ce petit récit, il nous ramène à son enfance en Roumanie. Son père, contrebandier grec, ayant disparu à sa naissance, sa mère, roumaine, très pauvre, a bien du mal à l'élever. Bien qu'assez doué pendant les quelques années où il va à l'école, il doit travailler très jeune et, fasciné par le pays de son père, choisit de s'engager comme garçon à tout faire (c'est-à-dire toutes les tâches les plus dures, dix-neuf heures sur vingt-quatre ! ) chez un Grec dans une taverne sur le port, le long du Danube. C'est là qu'un employé le prend en amitié et lui offre ce qui sera déterminant pour son avenir, un dictionnaire roumain-grec ! Il y découvre le monde et n'a plus qu'un idée, s'embarquer sur un de ces paquebots qui partent du fleuve. Il sera passager clandestin, puis jeté dehors à Naples où il manquera mourir de faim avant de repartir... n'importe où !
    Le récit s'arrête là mais c'est pour lui le début de nombreux voyages où il développera son sens de l'observation et où il puisera plus tard l'inspiration pour ses romans. Sa rencontre avec Romain Rolland en 1921 sera déterminante et l'amènera à écrire son oeuvre en français. Vivant, réaliste et truculent, son style met en valeur les personnages et les anecdotes qui ont marqué sa jeunesse.

  • Les Lettres chinoises. - Ying Chen (Actes Sud, 1993)

    Voilà un beau roman épistolaire, roman d'amour qui plus est !
    Yuan choisit de partir de Shanghaï et d'aller poursuivre ses études à Montréal. Tout lui pèse en Chine, il souhaite changer de vie et le Canada est pour lui un des symboles de la liberté. Mais à Shanghaï il laisse Sassa, sa fiancée. Celle-ci se sent rassurée et protégée par la vie en Chine et elle n'imagine même pas en partir. D'ailleurs quand elle demande son passeport, le destin est contre elle...
    La lecture de leurs lettres traduit bien l'évolution de leurs sentiments. En effet même si l'un et l'autre se jurent amour et fidélité, peu à peu l'idée qu'ils se font de leur pays et de l'exil les éloigne l'un de l'autre.
    L'auteur est chinoise et est partie vivre à Montréal. Elle a sans doute elle-même ressenti ces impressions mitigées sur les joies et les angoisses de l'exil.

     

  • La Mémoire de l'eau. - Ying Chen (Actes Sud, 1992)

    Ce roman est un hommage de l'auteur à sa grand-mère, Lie-Fei, qui a commencé à subir l'opération qui rapetissait les pieds des femmes chinoises alors qu'elle avait cinq ans. Mais nous sommes en 1912, le dernier empereur est chassé du trône et tout change ! On ne bande plus les pieds des femmes ! Toute sa vie Lie-Fei sera partagée entre la joie d'avoir évité la douleur de ces interventions, mais aussi la honte de ne pas avoir les petits pieds qui symbolisaient la beauté féminine. Ces impressions se superposent aux bouleversements politiques et économiques qu'a connus la Chine au 20è siècle.
    Ce récit est intéressant car à la fois il est empreint de sensibilité et de poésie et à la fois c'est un témoignage sur le sort des femmes en Chine au 20è siècle.
    L'auteur, Ying Chen, est née à Shanghaï en 1961 et vit à Montréal depuis 1989. Elle écrit en français.

  • La Maestra. - Vénus Khoury-Ghata (Actes Sud, 1996)

    En prenant un livre de Vénus Khoury-Ghata (auteur libanaise vivant en France et écrivant en français), je ne m'attendais pas à plonger dans un petit village perdu au milieu des montagnes mexicaines. J'ai lu ensuite que l'auteur avait fait de nombreux séjours au Mexique et que son inspiration venait de là.
    C'est un roman à la fois tragique et drôle. Tragique parce que c'est l'histoire d'une jeune femme riche qui se sait condamnée et qui ne supporte plus de vivre recluse dans sa belle maison de Mexico. Un jour elle part et elle recommence sa vie parmi les masures d'un village retiré. Personne ne la connait, c'est ce qu'elle voulait. Vivre, là-haut, signifie survivre et à peine manger à sa faim. Mais cela n'empêche pas la jalousie et la méchanceté de se développer entre les habitants ! Et c'est aussi parfois drôle car les situations sont presque surréaliste ! En arrivant, Emma doit endosser le rôle de l'institutrice (la "maestra") et enseigner (mais quoi...) dans un abri sans table ni chaise. Et puisqu'elle est blanche et instruite, on lui demande d'écrire un courrier au maire du village voisin, puis au Président de la République, pour demander une route goudronnée, un curé et un gendarme pour leur villages de dix-huit âmes !
    C'est émouvant, surprenant, sans doute très mexicain, et cela nous emmène très loin de nos préoccupations d'européens !

  • Mes hommes. - Malika Mokeddem (Grasset, 2005)

    Voilà un livre pour lequel j'ai eu un véritable coup de coeur.
    Malika Mokeddem, née en Algérie, nous retrace sa vie avec une passion extraordinaire. Elevée dans un pays où les filles étaient vraiment considérées comme inférieures aux garçons (une femme à qui on demandait combien elle avait d'enfants répondait : deux, et quatre filles), elle ressentira intensément cette injustice et cherchera toute sa vie à la réparer. Dans cet environnement régi par l'ordre masculin, les femmes sont résignées. Elle sera révoltée. Avec l'Indépendance, les filles peuvent accéder aux études secondaires. Elle sera la seule fille de la classe de 5è à la classe de Terminale. Puis la seule pionne d'internat à côté de surveillants masculins. Les études médecine à Oran contribueront à l'émanciper face à des amoureux encore réticents face à autant d'audace. Mais tous ses amours seront difficiles à vivre car par eux elle cherche à soigner une blessure d'enfance : être aimée pour elle-même et garder sa liberté. Un homme saura lui offrir cela et elle vivra 18 ans avec lui. Puis son succès comme écrivain de nouveau la mettra "à part". Pourtant plusieurs hommes, dont elle fait des magnifiques portraits, compteront pour elle. Elle n'est pas "contre" les hommes. Elle veut être à leurs côtés et veut qu'eux aussi soit à ses côtés.
    Ce besoin d'écriture, vital chez elle, est vraiment ce qui l'aide à exprimer toute cette violence, toutes ces blessures et toute cette passion. Comment pourra-t-on l'oublier après avoir lu un tel livre !

    Néphrologue à Montpellier. Epoux français. Née le 5 octobre 1949 à Kenadsa. Etude de médecine à Oran, puis à Paris. Elle s'installe à Montpellier en 1979. Elle arrête l'exercice de sa profession en 1985, pour se consacrer à la littérature. Prix Littré, prix collectif du festival du Premier roman de Chambéry, et prix algérien de la fondation Nourredine Aba pour son premier roman publié en 1990, "Les Hommes qui marchent". Prix Afrique -Méditerranée de l'ADELF en 1992, pour son second roman "Le Siècle des sauterelles". Prix Méditerranée, Perpignan, pour "L'Interdite", en 1994.