Hier soir la bibliothèque municipale de Poissy (78) accueillait, dans le cadre de son cycle "Marcheurs des villes et marcheurs des champs", Jacques Reda. Les amateurs de poésie le connaissent comme poète, ceux de jazz comme spécialiste de jazz (il écrit dans "Jazz Magazine" depuis quarante ans) et ceux de récits de voyage l'apprécient comme "écrivain voyageur". Je l'avais entendu dans une interview d'une heure, il y a quelques semaines, sur TSF Jazz (89.9), il parle très bien du jazz, qu'il connait bien, mais il s'en tient aux grands anciens. Pas de salut après Coltrane et Miles Davis. Je connais aussi son côté "marcheur des villes et des champs", notamment dans les quartiers de Paris. Il écrit une prose riche et recherchée, c'est un vrai plaisir de lire ses chroniques (il nous a avoué qu'il ne prenait aucune note, il retranscrit tout assez longtemps après.... au risque d'inventer un peu.... mais qu'importe !). Je dois dire que le personnage ne m'a pourtant pas particulièrement séduit. Il n'a plus rien à prouver et ne s'embarrasse pas d'artifices pour séduire son public. Mais bon, une heure de littérature pure, c'est toujours bon à prendre !
Les routes de l'imaginaire - Page 65
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Rencontre avec Jacques Reda
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Michel Portal et le quatuor Ysaye
Beau concert vendredi dernier du quatuor Ysaye accompagné par Michel Portal à la clarinette.
En ouverture, un morceau qui m'émeut toujours profondément, l"Adagio et fugue K546" de Mozart, morceau inachevé qui propose deux mouvements. Dans le second, la reprise du thème successivement par chaque instrument ajoute encore un effet lancinant à ce thème déjà sombre.
Le quintette pour clarinette de Mozart, ensuite, puis celui de Brahms, formaient l'essentiel du programme. Romantisme et mélancolie chez Brahms. Tragique puis allégresse dans l'oeuvre de Mozart écrite à la fin de sa vie et aux accents presque beethovéniens.
En bis, un superbe morceau de Piazzolla, inattendu après cette soirée classique; Mais on sait que Portal a un pied dans le classique et un autre dans le jazz. J'aurai d'ailleurs le plaisir de le revoir cet été au festival de Jazz d'Uzeste aux côtés du maître des lieux, Bernard Lubat ! -
Océan Pacifique. - Hubert Mingarelli (Seuil, 2006)
C'est la première fois que Mingarelli publie des nouvelles, encore que ses romans publiés en collection jeunesse pourraient être qualifiés de nouvelles par leur taille et par leur "unité".
Ici l'auteur nous fait entrer dans trois histoires avec la mer comme toile de fond. Dans la première, trois marins se retrouvent sur un bâteau dans le Pacifique au moment d'un essai nucléaire. Comme tout bon marin (et tout bon héros de Mingarelli...) , ils étaient déjà plutôt silencieux, mais ce nuage atomique les laisse sans voix. Seuls les souvenirs de leur mère au loin leur apportent un peu de réconfort. Le réconfort, voilà également ce qu'apporte le chien Giovanni dans la seconde nouvelle. Pour les marins présents, il symbolise celui auquel on peut parler, et même se confier, sans être ridicule. Et enfin le jeune garçon qui monte sur le toit de sa maison avant de partir, le lendemain, sur un bâteau, cherche à emmagasiner des souvenirs et à être rassuré par un père encore très proche.
On retrouve les thèmes chers à Mingarelli, les relations à deux, les relations père-fils, la solitude enfin, inéluctable, quelques soient les relations tissées avec les autres, avec un style épuré et minimaliste où chaque mot est indispensable. -
Le métier d'homme. - Alexandre Jollien (Seuil, 2002)
Cet homme, handicapé de naissance (Infirme Moteur Cérébral) nous donne ici une belle leçon de vie. Non pas qu'il mette son handicap en avant, il ne prône pas du tout la souffrance comme moyen d'épanouissement, mais il transforme sa faiblesse obligée en une force créatrice. Ce qui lui a permis d'apprivoiser ainsi la souffrance, c'est l'étude de la philosophie. La question est la même pour tout le monde : qu'est-ce qu'être un homme, comment apprendre ce "métier" qui ne s'étudie nulle part ? Lui c'est le stoïcisme qui l'a aidé à comprendre comment donner un sens à sa vie. A la faiblesse, à la souffrance, il oppose la force et le combat. La haine, le ressentiment ou la colère qu'il pourrait éprouver à cause de condition, il les convertit en une singularité qui fait de lui un homme à part entière.
Davantage qu'un livre écrit par handicapé, c'est bien un livre sur la signification de l'existence et il nous touche très personnellement. -
Dans les bois éternels. - Fred Vargas (Viviane Hamy, 2006)
Le Vargas nouveau est arrivé. Alors, est-ce un bon, un très bon, un moyen ? Elle nous a tellement étonnés avec ses polars qui n'en sont pas, ses fantaisies, sa malice et ses personnages imprévisibles, qu'on lui demande beaucoup ! Cette fois c'est un (très) bon (on avait été nombreux à être déçus par "Sous les vents de Neptune"). Adamsberg nous sort un bon vieux meurtre de sous les fagots, probablement commis par une infirmière septuagénaire récidiviste, avec un élixir de longue vie à la clé, à base de cheveux de vierge morte, d'os de coeur de cerf et de bave de serpent (j'exagère à peine). Ajoutez à cela une querelle enfantine qui a mal tourné et qui met face à face, quarante ans après, Adamsberg et le nouveau, Veyrenc, qui s'exprime en alexandrin quand l'heure est grave. Oui franchement on a bien notre Vargas des meilleurs jours, on est surpris et charmés par ses trouvailles, et c'est çà qu'on aime chez elle !
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L'affaire du voile. - Pétillon (Albin Michel, 2006)
Notre inspecteur favori (rappelez vous qu'il a réussi à retrouver un homme dans le maquis corse...) a cette fois une enquête délicate : il doit retrouver une ravissante jeune fille blonde qui a quitté ses parents. De source sûre, elle aurait pris le voile.... Pour la retrouver il doit donc infiltrer discrètement (on lui fait confiance...) les boutiques de vente de voiles et tchadors, les mosquées et autres écoles coraniques.
Pétillon s'en donne à coeur joie en faisant jouer le naïf à son héros, un peu perdu dans le monde des intégristes islamiques et dans les querelles de chapelles (c'est le cas de le dire) des différentes mosquées ! Il n'est pas trop méchant quand même (après l'histoire des caricatures, on fait attention) mais il épingle bien les exagérations et les contradictions (pour un oeil européen) de l'Islam.
A noter le très pratique tapis de prière avec GPS... -
Le très corruptible mandarin. - Qiu Xiaolong (Liana Levi, 2006)
C'est toujours un plaisir de retrouver les romans policiers de Qiu Xiaolong. Le Shanghaï contemporain n'en finit pas nous réserver des surprises à nous autres occidentaux. La modernisation ultra-rapide de la ville n'empêche pas la coexistence, souvent détonnante, avec les coutumes plus anciennes et c'est toujours surprenant à découvrir.
Les intrigues des romans de Qiu se ressemblent toujours un peu. Il s'agit toujours de dénoncer les dérives qu'apportent inévitablement l'occidentalisation de la ville. Corruption, passe-droits, faveurs, ... comment les éviter ? Et même Chen, l'inspecteur de police héros de cette série, pourtant muni d'une éthique stricte, ne peut éviter de suivre la tendance. La course à l'urbanisation, notamment, concerne tout le monde, aussi bien les politiques qui donnent les autorisations, les financiers qui investissent, et les habitants qui cherchent à se loger.
Davantage qu'un polar, c'est un témoignage de Shanghaï aujourd'hui et de la formidable mutation de la ville. Et l'omniprésence de la poésie chinoise (Chen est aussi poète) donne au récit une légèreté bien agréable. -
Hommage à Jacques Lacarrière
La semaine dernière la bibliothèque municipale de Poissy (Yvelines) proposait une soirée d'hommage à Jacques Lacarrière (décédé en 2005) pour inaugurer un cycle intitulé "Marcheurs des villes et marcheurs des champs". La soirée était placée sous le signe de la poésie et de la littérature. Gil Jouanard (écrivain, auteur de "Moments donnés", "Venise",...) animait la rencontre. L’amitié entre Jacques Lacarrière et Gil Jouanard date des premières Rencontres Poétiques de La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, créées par ce dernier. Leur relation n’a cessé de s’enrichir et de se renforcer au long des multiples voyages et randonnées effectuées ensemble. Les deux écrivains voyageurs avaient beaucoup à partager.
Gil Jouanard était accompagné de Zéno Bianu (poète, dramaturge et traducteur) et de Luis Mizon (poète argentin). La présence de Sylvia Lipa Lacarrière (femme de Jacques Lacarrière), comédienne, était particulièrement émouvante. Elle a notamment lu un certain nombre de textes tirés du recueil "Sourates" de Jacques Lacarrière.La prochaine rencontre de ce cycle aura lieu le jeudi 15 juin avec Jacques Réda, poète, "marcheur de Paris" et amateur de jazz (il écrit dans "Jazz Magazine")
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L'Or de Cajamalca. - Jakob Wassermann (L'Ecole des Loisirs, coll Medium, 1990)
Ce livre est édité en collection jeunesse, mais il pourrait tout aussi bien être chez un éditeur pour adulte. En effet, d'une part l'histoire est celle d'un épisode véridique de l'arrivée des Espagnols au Pérou au XVIè siècle, d'autre part le style est superbe, précis, le vocabulaire riche et évocateur. L'auteur, un allemand mort en 1934, a eu à souffrir de l'antisémitisme. Il était considéré par Thomas Mann comme un des grands romanciers du XXè siècle.
Dans ce récit, les Espagnols, pour assouvir leur soif d'or, ont l'idée de faire prisonnier le "Grand Inca", Atahualpa, pour l'échanger contre de l'or. Les Incas ne comprennent pas cette fièvre qui s'empare des Européens dès que de l'or est en jeu. Alors que ceux-ci devraient être des êtres modérés qui apportent la civilisation (et aussi le catholicisme), ils se comportent comme des Barbares. Les scènes sont vues par un chevalier espagnol qui comprend peu à peu à quel point les moeurs espagnoles sont cruelles. Le pire est atteint quand, bien qu'Atahualpa ait donné tout l'or promis aux Espagnlos, il est tué par ceux-ci.
Le style donne à ce récit une profondeur et une universalité étonnantes. Et rappelons-nous que Atahualpa Yupanqui, célèbre chanteur sud-américain, a pris ce nom en hommage au sacrifice du "Grand Inca".
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Petite philosophie du voyage. - Thierry Tahon (Milan, coll Pause-Philo, 2006)
Je classe ce livre dans la catégorie "Récit de voyage" mais c'est plutôt une réflexion sur le voyage qu'un récit. En tout cas c'est un livre dont je me suis sentie proche au point d'avoir eu l'impression d'en avoir écrit des phrases entières !!! Il faut dire que l'auteur n'est pas un grand voyageur (comme moi) mais apprécie les récits de voyage et s'interroge beaucoup sur le désir de voyage. Voyager, çà signifie quoi ; que cherche-t-on au loin ; le tourisme, est-ce du voyage, etc...Veut-on partir pour contempler d'autres paysages, mais connait-on bien ceux qui nous entourent ? La préparation du voyage n'est-elle pas l'essentiel, quand l'imagination se met en marche ? Et est-on déçu ou surpris par la réalité de l'ailleurs ? Part-on pour vérifier que l'ailleurs est bien comme on l'imagine ; ou pour être complètement surpris et peut-être même déstabilisé ?
Les nombreuses références aux grands écrivains voyageurs que sont Nicolas Bouvier, Ella Maillart et Jacques Lacarrière font de ce livre un régal de tous les instants pour ceux qui s'interrogent sur le voyage, le désir de voyage ... et la littérature de voyage.