Dans la série "Littérature israélienne" en vue du Salon du Livre, voilà un livre magnifique qui peut servir d'approche à la littérature dite "des écrivains de la Shoah".
Appelfeld avait sept ans quand la guerre a éclaté. Il vit dans le ghetto, perd sa mère, puis se retrouve dans un camp avec son père. En revanche ne cherchez pas là un énième témoignage sur les camps. L'auteur, pourtant maintenant à la fin de sa vie, ne peut toujours pas trouver les mots pour dire l'horreur de ces années. Son récit parle des années joyeuses d'avant guerre avec des parents juifs non pratiquants, vivant en Allemagne et adorant cette langue, des "intellectuels éclairés" qui croyaient en l'homme et en son intelligence. Seule note juive dans cette famille : son grand-père qui parle yiddish et suit les rites.
Bien qu'Appelfeld nous promette dans la préface de nous raconter son évasion des camps, il n'en parle pas et le récit passe d'avant à après, un après où il erre sur les routes, dans les forêts et dans la champs et qui lui inspireront ses plus belles pages sur la nature. Puis la longue marche en direction d'Israël, et enfin la Terre Promise qui pour lui sera une terre de souffrance et de dépression où pendant des années il ne pourra parler à personne de son expérience de survivant. De nombreuses années seront nécessaires pour que la lecture, la culture et la découverte du monde intellectuel hébraïque, dont l'écrivain Agnon, lui donnent les armes qui seront désormais les siennes : ses livres sur la Shoah et ses conséquences.
Je cite rarement des passages de livres (simple question d'habitude... et de respect du droit d'auteur...), mais là il faut vraiment montrer quelques phrases qui donnent le ton du livre.
"La Seconde Guerre mondiale dura six années. Parfois il me semble que ce ne fut qu'une longue nuit dont je me suis réveillé différent. ... Je dis : "je ne me souviens pas" et c'est la stricte vérité. Ce qui s'est gravé en moi de ces années-là, ce sont des sensations physiques très fortes. Le besoin de manger du pain. Aujourd'hui encore je me réveille la nuit, affamé. ..Je mange comme seuls mangent ceux qui ont eu faim un jour."
"Le moniteur M. m'a demandé incidemment, à la pause de dix heures, où j'étais pendant la guerre. La question m'a tellement surpris que je suis resté bouche bée. "Dans beaucoup d'endroits", ai-je choisi de dire pour éviter une conversation superflue. M m'a cependant poussé à parler et je me suis senti emprisonné dans le mutisme. Une frayeur s'est emparée de moi et ma mémoire s'est éteinte. Je n'ai su que dire et répéter : "Dans beaucoup d'endroits".