Le dernier livre de Marie Chaix, "L’été du sureau", m’a donné envie de lire celui qui l’avait rendue célèbre, "Les lauriers du lac de Constance". Publié en 1974, il retrace la vie politique de son père de 1936, alors qu’il rejoint Doriot et le PPF, jusqu’à son emprisonnement pendant sept ans, puis sa libération. Ecrit à partir des carnets tenus en prison par Albert B., le père de Marie Chaix (et de Anne Sylvestre), c’est un récit de la vie quotidienne pendant la guerre vue par un "collaborateur" et une famille de collaborateur.
Marie Chaix a écrit ce livre avec suffisamment de recul pour qu’il soit sans haine et sans admiration. Trop jeune (elle est née en 1942) pour se souvenir de la guerre, elle ne garde en elle que l’image d’un père dans un parloir, chaque samedi pendant sept ans, et son difficile retour à la maison.
Dans "L’été du sureau", elle raconte qu’elle a été contactée, à la suite de son premier livre, par un homme dont une amie proche avait été la maîtresse d’un certain Albert B., marié avec trois enfants, cadre dirigeant du PPF, et avait eu un enfant de lui en 1942. Cette révélation (confirmée par la nourrice de Marie Chaix) donne de l’homme une image encore plus négative que celle montrée dans "Les lauriers". Non seulement il avait choisi le camp des collaborateurs, mais il n’était pas l'époux et le père admiré par sa femme et ses enfants !
Les routes de l'imaginaire - Page 74
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Les lauriers du lac de Constance. - Marie Chaix (Seuil, 1974)
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L'été du sureau. - Marie Chaix (Seuil, 2005)
A la suite des "Lauriers du lac de Constance" où elle faisait revivre la figure de son père, accusé de collaboration et emprisonné pendant sept ans, Marie Chaix revient sur sa vie alors qu'elle atteint aujourd'hui la soixantaine. Sa fille vient de se séparer de l'écrivain Richard Morgièvre et, à sa propre surprise, elle ressent une douleur démesurée quand elle apprend cette séparation. Depuis quelques années déjà, depuis la mort de son éditeur Alain Oulman, elle n'écrivait plus et sombrait dans une sorte de déprime constante.
A partir de cette mort et de cette séparation, Marie Chaix revit par l'écriture les séparations qui ont jalonné sa vie (son père, emprisonné ; son premier mari), les morts aussi (ses deux frères, ses parents) de manière sensible et délicate. -
Charlie et la chocolaterie. - Tim Burton / Roal Dahl
Tout le monde a vu ou entendu parler du livre de Roald Dahl adapté par Tim Burton.
Pour ma part, après avoir vu le film, j'ai pris le livre pour le lire d'une traite. Pour une fois, j'étais heureuse de pouvoir mettre des images déjà fabriquées sur les mots d'un roman. Je crois que je n'aurais pas pu imaginer un univers aussi loufoque et aussi poétique que celui de Tim Burton !
Dans la foulée, j'ai regardé de nouveau le merveilleux "Edward aux mains d'argent".
Dites donc, il est vraiment très féroce avec les Américains, Tim Burton......
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Le photographe : Tome 1. - Emmanuel Guibert, Didier Lefèvre, Frédéric Lemercier. - (Dupuis, 2003)
En terminant cette bande dessinée, on a vraiment l’impression de sortir d’un long récit de voyage ! Rappelons l’histoire. Didier Lefèvre, photographe, accompagne une équipe de Médecins Sans Frontières en Afghanistan. Nous sommes en 1986, c’est la guerre entre l’armée soviétique et les moudjahidins. Aussi, pour rejoindre l’endroit où est installé " l’hôpital ", l’équipe de médecins doit se regrouper avec des " mouhadj " qui transportent des armes depuis le Pakistan jusqu’aux résistants afghans dans les montagnes au centre du pays.
Dans ce premier volume, c’est la préparation de l’expédition : rassemblement des vivres, des chevaux et des ânes, achats de vêtements adaptés, apprentissage de rudiments de langue afghane et de rituels locaux, logistique. Puis commence l’expédition elle-même. Sur un terrain très montagneux commence la longue marche de l’équipe, souvent de nuit pour échapper aux attaquants russes. Les corps s’amaigrissent, la fatigue creuse les traits, c’est encore plus dur que ce que Lefèvre imaginait. Pourtant il n’arrête pas de prendre des photos et de faire des magnifiques portraits des hommes du groupe, des vues des paysages grandioses et des clichés d’impromptus.
La mise en page originale accentue encore l’intérêt de cette bande dessinée. En effet, frustré de n’avoir pu tout photographier, Lefèvre fera appel à Emmanuel Guibert (l’auteur de " La guerre d’Allan ") pour dessiner tout ce qu’il voulait montrer et pour faire les textes. Frédéric Lemercier fera la mise en pages et en couleurs. Les dessins plutôt naïfs juxtaposés aux photos en noir en blanc donnent un éclat et une vérité à cet ouvrage qui émeut profondément.
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Le photographe : Tome 2. - Emmanuel Guibert, Didier Lefèvre, Frédéric Lemercier. - (Dupuis, 2004)
Dans le second volume de ce récit, l’équipe de Médecins Sans Frontières et Didier Lefèvre sont arrivés au lieu choisi pour installer un hôpital. Hôpital est un bien grand mot, dispensaire plutôt pour ce préau qui sert de salle de consultation, un coin masqué par une couverture fait office de salle d’opération, et la salle d’attente c’est l’herbe et les pierres devant. Nous sommes en guerre et les blessés que les médecins auront à soigner sont victimes d’éclats d’obus et de balles. Didier Lefèvre n’arrête pas de faire des photos, portraits d’enfants défigurés ou de vieillards affaiblis, et planches-contact d’opérations, essayant de capter à la fois l’expression de leur douleur mais aussi souvent leur gentillesse, leur reconnaissance et l’acceptation de leur destin.
Ce volume est particulièrement poignant car le procédé qui consiste à juxtaposer dessins et photos permet vraiment d’entrer dans l’intimité de cette équipe. Cet ouvrage est ce qu’on pourrait appeler une " bande dessinée documentaire " ou "de reportage " qui montre à la fois le travail des équipes humanitaires et la résistance d’un peuple face à un envahisseur. Ces deux volumes sont vraiment une réussite et le troisième volume (où Didier Lefèvre rentre " seul " au Pakistan) est attendu avec impatience.
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La vieille dame et moi. - Jacqueline Harpman (Le Grand Miroir, 2001)
La narratrice est assise sur un banc de son jardin. A soixante-dix ans, elle fait un bilan plutôt positif de sa vie, de son métier d’écrivain, de sa vie de famille. Quand tout à coup lui apparaît une très vieille femme qui semble tout connaître d’elle. Ses petites faiblesses, les facilités d’écriture qu’elle s’octroie, les traits de son caractère qu’elle a toujours cachés,…
Bien sûr cette vieille femme n’est qu’un miroir dans lequel la narratrice voit une image d’elle-même qu’elle n’accepte pas totalement. Mais n’est-ce pas le moment de faire un vrai bilan, de ne plus accepter les faux-semblants ?
Un très beau petit livre à propos du retour sur soi pendant la dernière partie de sa vie.
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Deuil interdit. - Michael Connelly (Seuil, 2005)
Harry Bosch reprend du service. Bien que retraité, il a la possibilité de réintégrer la police de Los Angeles au service des Affaires Non Résolues. Il retrouve sa coéquipière Kiz Rider et tous deux travaillent sur le meurtre d’une jeune fille il y a dix-sept ans. La reconnaissance par l’ADN est un élément nouveau qui leur permet de remonter rapidement (trop rapidement ?) la piste jusqu’à un suspect. Mais, bien que son sang ait été retrouvé sur l’arme, celui-ci est-il vraiment le coupable ? Et l’enquête d’alors avait-elle exploré toutes les pistes ?
C’est une enquête classique que nous propose Connelly avec interrogation des témoins, plongée dans le passé, découverte de la lâcheté des uns et de la malhonnêteté des autres. Harry Bosch incarne très efficacement le héros vengeur qui veut rendre justice. Celle-ci sera rendue d’une manière douloureuse, mais Bosch aura atteint son but, retrouver pour les Verloren, l’assassin de leur fille.
La bonne nouvelle c’est que l’on devrait retrouver l’inspecteur en retraite dans d’autres affaires non résolues. Toujours aussi déterminé, il rappelle que pour lui "tout le monde compte ou personne". -
En quarantaine. - Jacqueline Harpman (Mille et une nuits, 2001)
Dans ce petit récit, Jacqueline Harpman évoque un souvenir d’enfance qui a représenté une blessure profonde pour elle.
Alors pensionnaire au Maroc pendant la guerre, elle est la meilleure amie d’une jeune fille dont le frère est à la guerre. A l’occasion d’un devoir de français consistant à commenter "Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle" de Charles Péguy, l’auteur s’oppose à cette affirmation en prônant un raisonnement plus pacifiste. "Je ne vois pas le bonheur que c’est de mourir jeune" dit-elle. Une discussion s’ensuit qui dégénère et oblige la directrice à intervenir. Jacqueline est alors contrainte à être en quarantaine. Aucune parole ne doit être échangée entre elle et ses camarades pendant ce délai !
L’injustice et la démesure de cette sanction seront longtemps obsédantes chez l’auteur et elle en rend bien compte avec sobriété et émotion dans ce petit récit.
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En soixantaine : chroniques 1961-1971. - Bernard Frank (Julliard, 1996)
Ouf, j’ai terminé les 478 pages de ces chroniques ! Rééditées en 1996 avec, de-ci de-là, quelques commentaires de l’auteur à posteriori, elles offrent un panorama de la littérature et de l'édition dans les années soixante. Il n’est bien sûr pas question de résumer ce genre d’ouvrage. Quelques réflexions éparses.
Bernard Frank se montre particulièrement féroce à l’encontre de François Mauriac. Il épingle avec son esprit caustique habituel "ses faiblesses, ses contradictions et ses faux-fuyants" sur le plan politique, et sa faculté à savoir "durer, louvoyer à travers les modes et les guerres, les armistices, les résistances et les libérations". Il ne doit, ajoute-t-il, sa célébrité d’alors qu’à la disparition des plus grands (Camus, Claudel, Bernanos…).
Ceux qui bénéficient (si l’on peut dire) des critiques les plus cruelles : Jean Dutourd et son style de "demi-solde" ; Claude Roy, ses retournements de veste et sa "morale du parapluie" ; Michel Déon, ce "tonton chevronné du roman français à l’ancienne" ; et Roger Peyrefitte, Michel de St Pierre, François Nourissier, Jean Cau…
Ceux qui échappent à sa férocité : Daniel Boulanger et ses recueils de nouvelles , Jacques Brenner et ses analyses littéraires,
Antoine Blondin, qui le ravit à chaque page, Michel Leiris, José Cabanis, Jean Freustié, Jean Rhys.
Un livre qu’il admire (il n’y en a pas tellement) : "Les mots" de Sartre. Quelques pages sur Sagan et la Normandie nous reposent de ce Dallas germano-pratin !
Ce qui m’a frappée, c’est à la fois le grand nombre d’auteurs éreintés par Frank et qui ont "duré" jusqu’à ces dernières années : Déon, Nourissier, Dutourd… (tous très proches du Figaro, ça conserve...). Et le non moins grand nombre d’écrivains appréciés par Frank et qui ne sont quasiment plus lus aujourd’hui : Boulanger, Brenner, Cabanis, Rhys… Quant aux "vedettes" de l’époque, ce n’était pas Marc Lévy, Amélie Nothomb ou Michel Houellebecq, mais, excusez du peu, Malraux, Mauriac, Robbe-Grillet, Sartre, Sagan, Blondin, Simone de Beauvoir…
En conclusion précisons que si ce livre est une mine d’informations, c’est aussi un régal de lecture. Ces chroniques de "L’Observateur" (pas encore "Nouvel") sont empreintes d’une férocité et d’un humour réjouissants et la plume de Bernard Frank est souvent trempée dans un vitriol jubilatoire ! -
La blessure. - Anna Enquist (Actes sud, 2005)
Dans l’univers d’Anna Enquist, écrivain et psychanalyste, on retrouve toujours la famille, la complexité des relations humaines et les blessures de la vie. Dans ce recueil de nouvelles, ces thèmes se conjuguent avec la mer, omniprésente aux Pays-Bas.
La nouvelle la plus marquante, tirée d’une histoire vraie, raconte comment Jacob est parti avec son père et son frère pour pêcher le flétan, à pied, sur la mer gelée. Mais, quand ils veulent rentrer, le pan de glace se détache et ils vont dériver pendant quatorze jours.
Les autres nouvelles parlent de relations amoureuses difficiles, de rapports parents-enfants conflictuels et de folie, dans des atmosphères étouffantes et fascinantes.