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Les routes de l'imaginaire - Page 75

  • Polar or not polar

    En commençant le dernier Michael Connelly, je réalise que je n’ai pas lu de roman policier depuis des mois (sauf peut-être un ou deux J.B. Pouy, mais est-ce vraiment du policier ?) alors que j’étais une lectrice assidue de ce genre. Il faut dire que le marché du policier s’est transformé en quelques années. D’un genre plutôt masculin et mal vu, il est devenu féminin (je parle du lectorat), en vogue, protéiforme et pléthorique, passant de 500 titres publiés en 1994 à 1300 en 2004 !

    Pour ma part j’apprécie trois genres de policiers (pas mal, non ?)

    • Le " polar " pur et dur, bien noir, plutôt urbain, avec une intrigue classique et un détective ou un policier consistants qui cherchent non pas un coupable mais la vérité. La société, et ce qu’elle produit, est décrite sans complaisance et les faux-semblants y sont violemment dénoncés. C’est une peinture sombre de la vie actuelle qui ressort de ce genre de romans.

    Les Américains y excellent (voir Chandler, Hammett,...), avec notamment Michael Connelly (son personnage de flic, Harry Bosch, ancien du Vietnam, qui essaie de remettre de l’ordre dans le désordre de la société, est inoubliable), Lawrence Block (avec Matt Scudder, détective privé, ancien flic, assidu aux réunions des Alcooliques Anonymes, et dans la même veine de Harry Bosch) et Ed McBain (la vie quotidienne d’un commissariat à Los Angeles). Dennis Lehane, quant à lui, mêle avec succès polars noirs et thrillers.

    • le " polar social " qui descend plutôt du " néo-polar gauchiste " de Manchette.

    Les auteurs : Pouy, Oppel, Marc Villard, Daeninckx, Izzo.

    Les sujets : la vie quotidienne aujourd’hui et souvent les liens avec un passé " qui ne passe pas " ou avec une réalité fortement marquée par les difficultés sociales et politiques. C’est le roman-témoignage d’aujourd’hui.

    • le " polar ethnologique " quand il est à la hauteur d’un Upfield ou d’un Hillermann. Ou historique avec les Cadfael ou les Juge Ti. Mais je trouve que la multiplication des séries historiques a bien affadi le genre…

    Quant aux thrillers, le genre qui se développe le plus, ….. je n’aime pas avoir peur, alors…..Et le polar régionaliste, bof…

    Bref, si l’on compte à peu près un Connelly tous les deux ans, un Lawrence Block (avec Matt Scudder) tous les deux ou trois ans, quelques polars français et quelques bonnes surprises dans le polar étranger (scandinave et autre), çà fait en effet nettement baisser le rythme…..

  • Journal d'un lecteur. - Alberto Manguel (Actes sud, 2004)

    Quand on prend un livre d’Alberto Manguel, on sait à l’avance que l’on va côtoyer un écrivain brillant, à l’esprit curieux et d’une culture encyclopédique.

    Dans ce récit, il nous présente une sorte de journal tenu pendant un an autour d’une dizaine de livres qu’il s’est proposé de relire. Ne vous découragez pas si certains auteurs ne vous disent rien de rien (Sei Shonagôn, Kenneth Grahame ???), vous connaissez certainement les autres (Châteaubriand, Kipling, Wells, Buzzati,…). De toutes façons ce n’est pas une explication de texte mais une promenade de Manguel chez quelques auteurs auxquels il associe les événements de sa vie quotidienne.

    C’est l’époque (2002-2003) où il a acheté un ancien presbytère (et oui, il faut bien caser les 30.000 ouvrages de sa bibliothèque…) près de Poitiers et cette nouvelle maison est étroitement imbriquée dans ses lectures. De même, ses voyages à l’étranger ou les événements internationaux lui fournissent des passerelles entre hier et aujourd’hui.
    Si la lecture est une "conversation avec les meilleurs auteurs du passé" (et du présent), Manguel est vraiment un de mes interlocuteurs préférés !

  • Chaud-Froid. - Yumiko Seki ( Lattès, 2005)

    Ayant eu la chance de lire les auteurs français pendant son adolescence, Yuka a toujours aimé la culture française et souhaité venir en France. En effet, dans le Japon des années soixante-dix, les filles sont encore soumises au modèle traditionnel, les relations avec les garçons sont rares et même les sorties pendant l’adolescence sont difficiles à faire admettre par les parents. Yuko étouffe dans ce carcan et c’est bien maladroitement qu’elle essaie d’en sortir. La fréquentation des bars et des boîtes, les relations sexuelles occasionnelles et, pour finir, une sévère anorexie, la mettront au ban de ses amis. La proposition d’une Bourse d’études pour Paris sera l’occasion rêvée de sortir de ce cercle infernal.

    La découverte de la capitale par Yuka est décrite d’une très jolie manière, sans caricature. Elle découvre avec délice la ville et l’université, mais les relations avec les hommes restent difficiles ; non pas qu’elle ait du mal à faire des rencontres, mais les hommes auxquels elle plaît ont d’elle l’image traditionnelle de la Japonaise, et elle se sent loin de ce cliché.

    A la fin de son année d’études, Yuka aura le choix entre retourner dans son pays et se couler dans le moule de la parfaite épouse japonaise, ou rester à Paris et y être toujours la "jeune fille japonaise"...

    J’ai trouvé ce roman, sans doute très autobiographique, extrêmement juste dans son ton. Il décrit bien les contradictions de la société japonaise au début de son essor économique, et l’image qu’elle donnait alors à l’étranger.

    L’auteur vit en France depuis 1982, elle est journaliste, et ce livre est son premier roman.

  • Les anges ne reviendront pas. - Firouz Nadji-Ghazvini (Denoël, 2005)

    Téhéran quelques mois avant la Révolution islamique. L’atmosphère n’a jamais été aussi tendue que pendant cette fin de règne du Shah et la montée rapide de l’islamisme. Les étudiants essaient de se passionner pour la littérature ou le théâtre alors que la tragédie se joue sous leurs fenêtres. Pourtant les passions amoureuses se développent sur fond d’inquiétude et de projet de départ à l’étranger. Niloufar et Mithra, égéries de Kamran, Nader et Isamïl, interprètent Tchékhov…

    Voilà, comme chez Maryane Satrapi et Chahdortt Djavann, un témoignage de cette période troublée de Téhéran. Ici les sensations du narrateur, sa perception des gens et des lieux, prennent le pas sur la description pure. C’est à une très belle promenade à travers Téhéran, à la fois poétique et tragique, que nous convie l’auteur.

  • Le voyage d'Eladio. - Hubert Mingarelli (Seuil, 2005)

    C’est toujours un plaisir de découvrir un nouveau livre de Mingarelli. On sait que l’on va y trouver des personnages seuls avec eux-mêmes dans une atmosphère intemporelle et fascinante.

    Ce roman est le récit d’une fuite dans les montagnes qui ressemble à un voyage au bout de soi-même. Eladio s’occupe de la maison d’Alavaro Cruz, un fonctionnaire d’Amérique Centrale. Des guérilleros de passage s’arrêtent pour boire et le chef met les bottes d’Alavaro avant de partir. Ce sera pour Eladio une histoire d’honneur de les suivre dans les montagnes pour récupérer ces bottes. Mais la montée est interminable et Eladio ira jusqu’au bout de lui-même, pas tant pour retrouver les bottes que pour se prouver qu’il peut encore et toujours continuer…

  • Le rouge et le vert. - Jean-Bernard Pouy (Gallimard, Série noire, 2005)

    Dans un dîner mondain, Adrien, "nez" chez un parfumeur, essaie d’être à la hauteur de la discussion ambiante (que des universitaires et des sociologues ! ) et se targue d’être spécialiste en roman policier. Un des chercheurs lui propose illico, moyennant finances, de faire ce qui n’a encore jamais été fait dans le polar : enquêter sur rien, comme çà, au hasard. Adrien se transforme donc en détective amateur et rend chaque semaine sa copie d’enquêteur…. du "rien"… Ou plutôt du "tout", car si on cherche des mystères dans la vie quotidienne, on en trouve, et pas forcément des plus avouables !


    Autant dire que ce roman n’a de policier que la collection et que Pouy nous régale, comme d’habitude, avec ses descriptions ironiques du quotidien et ses réflexions désabusées sur le temps qui passe.

  • Bonjour paresse. De l'art et de la nécessité d'en faire le moins possible en entreprise. - Corinne Maier (Michalon, 2004)

    Si vous travaillez dans une entreprise, que vous êtes "hyper motivé", que vous faites confiance à vos managers, et que vous pensez que les NTIC, la culture d’entreprise et l’éthique sont des priorités pour les années à venir, ne lisez pas ce livre…


    En revanche, si vous écoutez d’une oreille goguenarde les discours pontifiants des cadres supérieurs, si les consultants et leur jargon vous hérissent, et si vous ne croyez pas être un maillon indispensable du bon fonctionnement de l’économie française, ce livre est pour vous, et en plus il vous fera rire !
    Attention, ce n’est pas une farce. Corinne Maier a été sanctionnée par son employeur (EDF) pour avoir donné une image trop cynique du monde du travail. Il faut dire que son autre métier, psychanalyste, lui a donné des clés pour démonter les faux-semblants. Travailler, oui ; être intéressé par son travail, oui ; penser qu’on est indispensable, attention danger !

  • Terre et cendres. - Atiq Rahimi (POL, 2000)

    Comment parler de la guerre dans un roman ? Atiq Rahimi a bien compris que c’était en montrant la détresse d’une personne en particulier qu’on la décrivait le mieux.

    En Afghanistan, pendant la guerre contre la Russie, un village a été bombardé et tous ses habitants ont disparu. Tous sauf un vieil homme et son petit fils. Le vieil homme se met alors en route pour annoncer à son fils qui travaille au loin à la mine que, de toute sa famille, ne restent que lui et le petit Yassin. Pas une fois les bombardements ne sont décrits précisément, seuls les impressions du vieil homme apparaissent : des gens qui courent, sa belle-fille qui sort nue en hurlant…


    La guerre c’est çà et l’auteur en parle de façon poignante.

  • Chamelle. - Marc Durin-Valois (Lattès, 2002)

    Dans un village africain, l’eau vient à manquer. Pour survivre, les habitants n’ont pas d’autres solutions que partir dans le désert en direction d’improbables puits encore en activité. Faut-il partir vers le Sud ou vers l’Est ? Rahne, l’instituteur, a étudié la carte et choisit le Sud, avec sa famille et celle de son meilleur ami, et avec la fidèle Chamelle. Mais le premier puits est asséché, le deuxième est pris d’assaut et gardé par les soldats, et pour aller plus loin il faudra payer de la vie de certains. Rahne devra à la fois se battre pour continuer et essayer de trouver enfin un peu d’eau, et aussi accepter les malheurs que cette sécheresse apporte.

    Ce livre, qui s’inspire de la situation réelle des nomades, est vraiment d’une grande beauté. Le récit, raconté à la première personne par le héros qui tient son journal, montre bien combien ces peuples acceptent leur destin, ce qui n’empêche pas une profonde humanité qui nous les rend très proches.

  • Je viens d’ailleurs. - Chahdortt Djavann ( Autrement, 2002)

    Je dois être à peu près la trois millième à comparer ce livre avec "Persépolis" de Maryane Satrapi, mais c’est vrai que c’est tentant. Dans les deux ouvrages c’est la situation en Iran qui est vue par les yeux d’une collégienne.


    En 1979 Khomeiny instaure un régime islamique dans les pays et c’est toute la vie quotidienne qui change. Et, comme dans tout régime totalitaire, les opposants sont emprisonnés et parfois exécutés. La narratrice verra la monté en puissance de cette violence jusqu’à ce que l’arrestation de ses meilleurs amis la terrasse et la décide à partir à Paris. Le récit est construit autour de son retour en Iran, retour qui la replongera dans la violence de son adolescence.


    Superbe livre qui émeut profondément par sa sobriété et sa justesse.